Sage-femme : son regard sur l’allaitement

Sage-femme : son regard sur l’allaitement

Dans cette interview, une sage-femme partage son expérience professionnelle et personnelle de l’allaitement : craintes, idées reçues, conseils pratiques et rôle du co-parent.

Sommaire

Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?

« Je suis sage-femme depuis 11 ans. J’ai fait mes études à Brest et travaillé dans différents milieux hospitaliers en France, dans des centres de niveaux 2 et 3. Actuellement, je suis dans mon service depuis 2 ans et demi. Lors de ma formation, j’ai suivi une formation approfondie sur l’allaitement avec un spécialiste qui a participé à la création du DU de lactation dans les années 2000. Nous sommes donc sorties avec un vrai bagage sur l’allaitement, que nous utilisons tous les jours auprès des femmes que nous accompagnons. »

Comment vivez-vous cette grossesse en tant que professionnelle de santé ?

« C’est mon premier enfant et je vis très bien ma grossesse : je n’ai quasiment pas eu de maux, juste un peu de fatigue au premier trimestre, mais je peux continuer à faire ce que je veux, ce qui est très agréable. En tant que professionnelle, je donnais déjà des conseils aux femmes en me basant sur ce que j’entendais des autres, sur mon expérience et sur ce que j’apprenais, mais le fait de le vivre moi-même est complètement différent. Cela me donne une nouvelle perspective et je pense que, lorsque je retournerai travailler, cela changera ma façon de conseiller et d’accompagner les mamans et futures mamans. »

Comment accompagnez-vous les femmes dans leur projet d’allaitement ?

« En consultation, je parle d’“alimentation” plutôt que d’“allaitement”, pour laisser le choix aux mamans : allaiter ou donner le biberon. Certaines savent déjà ce qu’elles veulent, d’autres se décident après la naissance. Mon rôle, c’est de les accompagner dans leur projet, qu’il s’agisse d’allaitement ou d’alimentation artificielle, et de les soutenir si elles changent d’avis. L’essentiel, c’est d’avoir une maman sereine : mieux vaut une maman souriante qui donne le biberon qu’une maman en pleurs avec son bébé au sein.»

Quelles sont les craintes et idées reçues sur l’allaitement ?

« Les principales craintes des mamans, c’est surtout d’avoir mal et de ne pas avoir assez de lait. Au début, c’est vrai que la quantité est faible, car c’est du colostrum pendant 2-3 jours. Mais plus le bébé tète, plus la lactation se met en place et la montée de lait arrive naturellement : c’est un processus physiologique. Il existe aussi des solutions pour aider : bouts de sein en silicone si c’est trop douloureux, crèmes en prévention, tire-lait pour celles qui n’aiment pas le contact direct ou qui sont pudiques. L’allaitement demande surtout de la disponibilité, contrairement au biberon qui peut être donné par d’autres. Aujourd’hui, il revient davantage, mais ce n’est pas une mode : c’est un choix personnel. L’essentiel, c’est que chaque maman soit accompagnée, écoutée et soutenue dans ses interrogations. »

Quelles sont les clés pour bien commencer un allaitement ?

« Il est important de s’être un peu renseignée sur le déroulement de l’allaitement. Comme je le disais, au début, il n’y a que le colostrum : le bébé va beaucoup téter, mais en petites quantités. Ce lait, très riche et gras, suffit à ses besoins. Ensuite vient la montée de lait. Il faut donc se préparer à ce phénomène physiologique, lié aux hormones. Il faut aussi être accompagnée par le co-parent. Beaucoup pensent que, comme c’est la maman qui allaite, le co-parent ne fait pas grand-chose. Mais en réalité, si : son rôle est essentiel, que ce soit pour le soutien moral ou la logistique. L’allaitement, surtout au début, prend beaucoup de temps ; il faut donc quelqu’un pour gérer le reste à la maison. Les clés, c’est la patience et le fait de ne pas se mettre une pression incroyable. Certaines mamans s’imposent beaucoup d’attentes, mais je pense que plus on laisse l’enfant faire, plus les choses naturelles se mettent en place. Bien sûr, il y a des situations où ce n’est pas évident : cela dépend de la poitrine de la maman, du bout de sein, du bébé, du terme auquel il naît, de sa tonicité… Dans ces cas-là, il faut aider un peu plus. C’est ce qu’on fait à la maternité, puis avec l’accompagnement après la sortie. Au début, on dit que c’est naturel : l’enfant sait téter et la maman a du colostrum. Mais il faut quand même que les deux se rencontrent et s’ajustent, pour que l’allaitement aboutisse réellement. »

Combien de temps met la montée de lait à arriver ?

« En général, la montée de lait arrive au bout de 3 à 4 jours. Mais cela peut varier selon le contexte de l’accouchement : le terme, une césarienne, une hémorragie ou d’autres complications peuvent la retarder. Elle dépend aussi de la stimulation du sein pendant les 40 à 72 premières heures : si le sein est beaucoup stimulé, la montée de lait peut arriver plus tôt. Certaines femmes produisent déjà du colostrum pendant la grossesse, parfois même avec des écoulements, alors que d’autres n’en ont pas. Dans ce cas, la montée de lait peut mettre un peu plus de temps à se déclencher. »

Avez-vous des conseils pour les futures mamans allaitantes ?

« Un petit conseil, c’est d’abord de voir si elles sont à l’aise avec leur corps, si elles sont prêtes à le découvrir — même en étant quand même un peu cachées, parce que l’allaitement, c’est partout et tout le temps, un petit peu. Donc, être à l’aise avec son corps, c’est important. Un autre conseil, c’est de ne pas trop se prendre la tête, de laisser les choses se faire, d’écouter son réflexe et surtout d’écouter les professionnels qui nous accompagnent. C’est essentiel. Je pense aussi que c’est important d’avoir quelqu’un une fois qu’on sort de la maternité. Le séjour est court, alors que l’allaitement, c’est sur le long terme. Il faut au moins un mois d’allaitement pour que ça se mette bien en place : que la maman et le bébé trouvent leur rythme, et surtout que la quantité de lait soit suffisante. C’est vraiment au bout d’un mois que la quantité de lait maximale est atteinte, ce qui permet ensuite de poursuivre l’allaitement 2, 3 ou 6 mois, selon ce que la maman souhaite. Donc, le maître-mot c’est la patience. Et aussi avoir un co-parent derrière qui gère un peu toute la logistique à la maison pendant le premier mois. De ce côté-là, le congé parental d’un mois est une très bonne chose. Et enfin, avoir un professionnel de santé extérieur disponible pour répondre aux questions, c’est un vrai soutien, indispensable. »

Avez-vous un projet d’allaitement pour votre bébé ?

« Moi, je compte allaiter parce que j’ai envie de vivre cette expérience, vu que c’est mon premier enfant, de voir ce que ça donne. Après, peut-être que ça ne me plaira pas d’avoir mon bébé au contact, peut-être que je n’aurai pas assez de lait, peut-être que ça ne se passera pas bien… mais j’ai envie d’essayer et de voir. Si ça se passe bien dès le séjour à la maternité, pendant les premiers jours ou la première semaine, tant mieux. Mais je ne vais pas me borner à tout prix pour que ça fonctionne. J’essaierai, et on verra comment ça se passe avec mon bébé quand il sera là. J’ai déjà prévu quelques petites choses, comme les coussins d’allaitement Curve, incroyables. Je les ai reçus à midi, j’ai fait un petit test, et quand mon conjoint est rentré le soir, je lui ai laissé voir : on sentait une légère humidité après 4/5 heures, mais franchement rien à voir avec toute la pipette que j’avais vidée. »

Votre expertise influence-t-elle votre vision de l’allaitement ?

« Oui, je pense que les patientes qui veulent allaiter mais qui n’ont pas reçu un minimum d’informations ou de petits conseils sur l’allaitement ne partent pas avec les mêmes chances que d’autres. Nous, en tant que professionnels de santé, on est confrontés à l’allaitement tous les jours, donc on a des petits “tips”. Peut-être que je n’y pense pas directement dans une interview, mais quand on est face à des mamans allaitantes avec leur bébé, on pense à des choses à leur dire, à leur conseiller. Et oui, je pense qu’on a une expertise qui peut vraiment aider à ce qu’un allaitement se passe mieux que pour une maman qui n’a pas eu cet accompagnement. Cela vient à la fois de la formation et aussi des années de pratique qu’on a dans l’accompagnement. »

Quels sont les aliments déconseillés durant l’allaitement ?

« Alors, quand on est enceinte, on déconseille plein de choses à cause des germes. Mais quand on a accouché, pendant l’allaitement, c’est seulement l’alcool qui est déconseillé. Voilà. Après, on se rend compte que, selon ce que la maman mange, le transit du bébé peut être modifié : ça peut parfois le constiper, etc., mais pas forcément. Il faut aussi savoir si le bébé a des intolérances aux protéines de vache, des reflux… En fait, ça dépend de chaque enfant, parce que lui se nourrit du lait que sa mère produit à partir de ce qu’elle mange. Donc après, c’est à la maman de voir ce qu’elle enlève ou pas de son régime alimentaire. Mais de base, quand on allaite, c’est toujours 0 alcool, voilà. »

Avez-vous des histoires marquantes ou touchantes à nous raconter ?

« Oui, pour moi il y a des mamans qui sont très courageuses : celles qui veulent à tout prix allaiter et que l’allaitement se passe bien. Quand ce n’est pas toujours le cas, elles tirent leur lait, donnent des compléments… Certaines hésitent, mais elles y tiennent tellement qu’elles poursuivent pendant des jours. Elles sortent de la maternité puis rentrent à la maison avec tout le protocole à suivre. Moi, je trouve que ces mamans-là sont très courageuses de continuer l’allaitement pour le bien de leur bébé, parce que le lait maternel est vraiment le meilleur aliment pour un nouveau-né, c’est important. Il y a aussi les mamans qui allaitent des bébés prématurés. Là, le lien mère-enfant n’est pas tout de suite présent, parce que les bébés sont dans un autre service. Les mamans leur rendent visite, et la mise au sein dépend du terme, de la tonicité, de l’état de santé du bébé : ça ne se fait pas tout de suite. Donc elles doivent tirer leur lait. Pour moi, ces femmes-là ont vraiment du courage, parce qu’on leur dit que, pour les prématurés, le système digestif étant encore immature, le lait maternel est ce qu’il y a de meilleur pour eux. Il y a aussi des femmes qui allaitent un aîné de 2 ou 3 ans, en plus de leur nouveau-né. Et en fait, le lait maternel s’adapte : pour le nouveau-né, la composition est ajustée à ses besoins, tout en restant bénéfique pour l’enfant de 2 ans. »

Conseillez-vous des coussinets d’allaitement à vos patientes ?

« Avant, c’était plutôt du jetable, parce qu’avant qu’Anaïs m’en parle, je ne connaissais pas la marque Curve. J’en ai discuté avec des copines sage-femmes qui travaillent en Bretagne, et elles connaissaient. Oui, c’est sûr que le prix représente un coût au départ, mais vu l’usage qu’on peut en avoir, par rapport à d’autres produits… en plus, ils sont lavables et passent au sèche-linge. »

Avez-vous des conseils pour celles qui hésitent ou qui ont peur d’allaiter ?

« Il ne faut pas hésiter à se faire accompagner et à poser ses questions, sans avoir peur du jugement ou de déranger. Il y a beaucoup de grandes questions autour de l’allaitement, et c’est normal de se demander si ça se passe bien. Même si on craint de ne pas savoir certaines choses, ce n’est pas grave. C’est ton premier enfant, ton premier allaitement, et il n’y a pas d’expertise ou d’expérience derrière. Même si l’allaitement est quelque chose de naturel, il faut quand même que la relation bébé maman se mette en place correctement pour la mise au sein, et parfois cela prend un peu de temps. Donc il ne faut pas hésiter, que ce soit pendant le séjour à la maternité pour observer les mises au sein et poser des questions, ou après, avec un soutien extérieur pour envoyer des messages ou appeler et dire : « Là il s’est passé ça, qu’est-ce que je peux faire ? »

Pour ou contre se renseigner sur les réseaux sociaux ?

« Ces dernières années, on voit beaucoup de mamans qui font du tirage de lait pour donner au biberon plutôt que de mettre directement bébé au sein. C’est moins physiologique, mais ça peut répondre à leurs attentes et à leur confort. Cela demande quand même de l’organisation : bien conserver, réchauffer et nettoyer le matériel. Les réseaux sociaux influencent beaucoup, mais il faut savoir trier l’information : certains comptes donnent de très bons conseils (professionnels de santé, consultantes en lactation, pédiatres), d’autres sont juste des expériences personnelles. L’important, c’est de prendre du recul et de se faire accompagner par les professionnels autour de soi pendant et après la grossesse. »

Une phrase qui résume votre vision de l’allaitement

« Je pense qu’il faut être assez ouvert en tant que professionnelle pour accompagner les patientes. C’est ma vision personnelle, basée sur mon expérience et sur la formation que j’ai reçue. »

✅ Points clés à retenir

  • La montée de lait survient généralement entre le 3ᵉ et le 4ᵉ jour.
  • Le rôle du co-parent est essentiel dans la réussite de l’allaitement.
  • Les craintes principales concernent la douleur et la quantité de lait.
  • Un bon accompagnement (maternité + suivi) fait toute la différence.

❓ FAQ sur l’allaitement

Quand commence la montée de lait ?

En moyenne, entre 3 et 4 jours après la naissance, mais cela peut varier selon le contexte de l’accouchement et la stimulation du sein.

Quels aliments éviter pendant l’allaitement ?

Seul l’alcool est strictement déconseillé. Le reste dépend de la tolérance du bébé.

L’allaitement est-il toujours douloureux ?

Non, une bonne mise au sein et un accompagnement adapté limitent la douleur.